J'ai testé faire de la figuration dans un film
Je profite du sacre de (mon collègue ^^) Swann Arlaud qui vient d'être césarisé Meilleur Acteur pour sa performance dans « Petit Paysan » (film disponible via la Bibliothèque 2.0 du Finistère) pour re-éditer cet article que j’avais écrit à l’occasion du tournage du film « Crawl » à Douarnenez avec... Swann Arlaud !
J'avais adoré découvrir l’envers du décor d'un tournage de film de cinéma. Je pense que ça se ressent dans mon article. Comme le film est aujourd'hui visionnable sur YouTube, j’en profite pour illustrer ma prose avec des copies d'écran de Swann et moi ( <3 love <3 lol ).
Pour ceux et celles qui veulent tenter l'aventure de la figuration (de la comédie, de la doublure, du prêt de sa maison, etc.), il y a ce site internet Accueil des Tournages en Bretagne qui répertorie toutes les opportunités à venir dans notre belle région. Par exemple, pour le tournage sur la Presqu'île de Crozon du prochain long métrage de Rémi Besançon, intitulé « Le Mystère Henri Pick », la production est à la recherche d'une doublure lumière pour Fabrice Luchini. La doublure lumière c'est un acteur de complément qui, lors de la préparation d'un plan, remplace l'acteur principal pendant que le chef opérateur règle sa lumière... Pas sûre qu'il y ait un César à la clé pour la doublure, mais peut être une belle occasion de croiser le flamboyant Luchini.
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Il est 8 heures du matin. Je suis dans un magasin de marée sur le port de Douarnenez et je m’apprête à découper mon premier poisson. Mais sur quelle galère me suis-je encore embarquée ?! En envoyant ma candidature pour le casting de « Crawl », j’étais loin de m’imaginer l’envers du décor d’un tournage de film. Au plus près des conditions du réel... « Les filles, venez par ici. Vous êtes trop propres ! » Soraya, la costumière, se saisit d’un merluchon pêché quelques heures plus tôt et nous l’écrase sans état d’âme sur nos tabliers. Effectivement, ça fait plus crédible maintenant…
Je suis donc actrice de complément (c'est-à-dire figurante ^^) pour trois jours sur le premier long métrage de Hervé Lasgouttes, « Crawl ». Le synopsis : Martin (Swann Arlaud, vu notamment dans « Les Emotifs anonymes » de Jean-Pierre Améris, avec Isabelle Carré et Benoît Poelvoorde, et dans « Adèle Blanc-Sec » de Luc Besson avec Louise Bourgoin) est un jeune homme sauvage et mystérieux, qui ne garde aucun boulot très longtemps et vit de peu. Il habite chez son père dans une vieille maison déglinguée où il ne fait que dormir. Sa seule possession est une vieille Ford Taunus qui l’emmène un peu partout où son humeur le porte. Depuis peu, il sort avec la belle et secrète Gwen (Nina Meurisse, que l'on verra cette année dans « Place publique », d'Agnès Jaoui). Gwen travaille dans un magasin de marée (Hey ! Comme moi ! ^^) et économise tout ce qu’elle peut pour partir au Mexique faire de la compétition en haute mer. Car Gwen nage tous les jours en pleine mer, même au plus froid de l’hiver. C’est sa passion… Mais elle tombe enceinte de Martin. Déterminée, elle accepte cette grossesse, tout en gardant en tête son rêve de partir. Martin, lui, continue ses petits boulots et ses maigres larcins, et semble ignorer qu’il va bientôt être père... Jusqu'au jour où il est accusé de meurtre…
Nous sommes une dizaine de figurantes à « travailler » avec Gwen dans le magasin de marée. Avant de commencer le tournage, nous suivons ensemble une formation pour apprendre à lever les filets de merluchons. Armées de couteaux tranchants, la cohésion de groupe se fait forcément très rapidement. Je fais la connaissance de la pétillante Muriel Riou, intermittente du spectacle brestoise, abonnée aux petits rôles au cinéma (« Séraphine » de Martin Provost avec Yolande Moreau) et à la télévision (Dolmen » avec Ingrid Chauvin et Bruno Madinier) et aujourd'hui spécialisée dans la comédie voix off. Je discute aussi avec l’imperturbable Claire Chiron, également intermittente du spectacle (vue dans « Meilleure espoir féminin » de Gérard Jugnot avec Bérénice Bejo, et comme Muriel… dans « Dolmen », LA série incontournable pour les acteurs bretons ^^). Muriel et Claire auront quelques répliques avec Nina Meurisse. Je suis béate d’admiration. Mes stars locales à moi ! Et moi, me remarquera-t-on en train de couper du poisson ? Rien n’est moins sûr…
Je me re-concentre sur ma découpe pour pouvoir donner le meilleur de moi-même et ainsi briller lors des prises. Je suis encore loin d’avoir la dextérité de Joëlle, la seule vraie poissonnière du groupe. En deux temps trois mouvements, elle extrait joyeusement les joues d’une lotte : « Magnifique ! Le meilleur de la lotte ! ». Moi, pour l’instant, ça me dégoûte… beaucoup. Heureusement, je trouve en Fabienne, alias Lile Cargueray, la dose d’humour dont j’ai besoin pour me donner du courage. Fabienne est comédienne de théâtre, voix off, chanteuse... Il y a aussi Frédérique, jeune maman, Brigitte, Marylène et Marie-Paule, jeunes retraitées et enfin moi, votre jeune blogueuse : toutes novices en matière de Septième Art !
La formation « Découpe de poissons » est terminée. Mon geste n’est pas rapide, mais j’arrive enfin à extraire de magnifiques filets sans bouillie ni grimace. Hervé Lasgouttes nous indique nos postes de travail. Je me retrouve sur la même table que Joëlle. Puis, il nous demande de nous trouver un vrai sujet de conversation pour le début de la scène à venir, cela ajoutera de l’authenticité à l’ « ambiance sonore ». Nous parlerons donc avec Joëlle de nos futures vacances et de nos enfants (Mes enfants ? Euh… De l’improvisation totale en ce qui me concerne). Le réalisateur poursuit la description de la scène : une des figurantes, Muriel, va se blesser en évidant un poisson. D’ailleurs, Fabienne, la maquilleuse professionnelle sur le tournage, est en train de peaufiner les derniers détails sanglants de la fausse entaille sur sa main droite. L’ouvrière ainsi blessée va semer la panique au sein de l’équipe. Tandis que certaines vont lui porter secours, d’autres resteront en retrait silencieuses et effrayées (… Ce qui n’a pas trop été difficile pour moi, le jeu de Muriel et sa blessure semblaient si réels… Et surtout, je pense être hors champ de caméra pour cette prise ^^). Gwen (Nina Meurisse), quant à elle, devra mettre du temps à réagir et sembler totalement absente, perdue dans ses pensées (de future mère ?). Soraya, la costumière, lui réajuste son faux ventre de femme enceinte et vérifie la tenue de son maquillage.
Chacun prend ses marques. Une répétition est lancée « Action répétition ! ». Là, je prends conscience du travail d’équipe que représente un tournage. L’équipe technique se met en place naturellement. Julien, le perchiste, enjambe câbles, contourne tables agilement, son micro toujours au plus près de l’action sans jamais entrer dans la ligne de mire de la camera(wo)man, Emmanuelle. Assis dans un coin, devant un petit écran de contrôle, Hervé Lasgouttes et sa scripte Marine, discutent et vérifient que la mise en scène (le cadrage, le son, les lumières, le décor, les raccords avec d’autres plans, etc.) fonctionne bien. « Coupez ! »
Il y a quelques modifications à faire, mais sinon c’est impec’. En tous cas, rien à dire sur la description que me fait Joëlle de ses prochaines vacances en famille :-). Victoire, la 1ère assistante, annonce le tournage de la 1ère prise. « Tout le monde en place. Silence sur le plateau s’il vous plaît ! » Le ton est autoritaire. Petite montée d’adrénaline... Enfin ça va commencer ! « Moteur demandé ». Mon cœur bat la chamade. Je me concentre sur mon poisson à moitié découpé. Beurk. « Scène 34, prise 1 ». Clap de début. « ça tourne. ACTION !!! » …………………. Je ne sais plus combien il y a eu de prises avant que la scène parfaite soit mise en boîte, mais ce fut long, très long.
Entre deux prises, pour tromper l’attente (et l’ennui), l’équipe technique se fait des blagues, se chamaille ou grignote. Cela fait presqu’un mois qu’ils travaillent ensemble pratiquement 24h sur 24, 7 jours sur 7. Forcément, ça créé des liens et ils se connaissent (presque) par cœur maintenant ! Les figurantes ne sont pas en reste : Fabienne, Muriel et moi improvisons une sorte de comédie musicale / danse du merluchon sur le thème de Grease. Une idée originale dont pourrait s’inspirer Hervé Lasgouttes pour son prochain long métrage, ou « De la manière dont les figurantes deviennent ingérables sur un tournage. »
Deux scènes tournées plus tard. Il est 13h. Toute l’équipe est exténuée, et surtout affamée. Direction un autre magasin de marée désaffecté des viviers de Plouhinec, aménagé en cantine spécialement pour l’occasion. Une longue et unique table a été dressée au milieu de la grande salle carrelée. Les principaux éléments du décor : des piles et des piles de caisses en plastiques multicolores... Les repas sont préparés et servis par un jeune couple de traiteurs itinérants dans la France entière. J’ai adoré leurs desserts. J’ai un peu moins raffolé du poisson servi le dernier jour... Disons que trop de poissons, tue le poisson…
Repus et motivés, nous reprenons le chemin du plateau. La première scène de cet après-midi va se tourner dans les vestiaires. Gwen (Nina Meurisse) entre dans la pièce et découvre 4 de ses collègues (Claire, Fabienne, Frédérique et moi) en train de lire un article dans le journal. Claire lui tend le journal.
L’article relate l’affaire de meurtre dans laquelle est impliqué son petit ami Martin (Swann Arlaud). « Les filles, il faut vraiment lire l’article. Si vous ne lisez pas, ça se verra à l’écran ! », nous recommande Hervé Lasgouttes en observant la répétition. Les techniciens sont prêts. Soraya, la costumière, passe entre les rangs pour réajuster nos blouses blanches et nos charlottes. Quelle belle brochette nous formons là ! Je suis au top de mon potentiel glamour ^^. Victoire nous prévient de l’imminence de la 1ère prise. « Silence, s’il vous plaît ! Moteur demandé »………….. « Scène 42, prise 1 ». Clap. « ça tourne, et……………………... ACTION !!! ».
Plusieurs prises seront nécessaires pour cette scène. Le réalisateur propose plusieurs angles de vue que valide (ou non) la camera(wo)man. Entre temps, la lumière change. Il faut réajuster les projecteurs ou les panneaux réflecteurs, etc. Le cinéma est un métier de passion et de patience. L’actrice Nina Meurisse m’impressionne par sa performance juste et constante. Une heure environ s’écoule entre la première et la dernière prise pour cette seule scène, et elle réussit à rester fraîche et touchante dans son interprétation. Chapeau ou plutôt charlotte basse !
Basile, le second assistant réalisateur, vient nous chercher. Ils n’ont pas besoin de nous pour la scène suivante. Nous nous retrouvons donc entre figurantes dans les loges, d’anciens bureaux de la criée prêtés par la CCI. Les discussions vont bon train, nous nous réchauffons, nous nous restaurons à la table régie, sur laquelle boissons chaudes, petits gâteaux et fruits sont offerts. Le temps d’attente peut être long. Certaines ont prévu des magazines. Nous nous lisons nos horoscopes respectifs... J’observe par la fenêtre un bateau de pêche quitté le port, escorté par des dizaines de mouettes-vautours …
L’arrivée de Gilles Cohen, suivi de Basile, me sort de ma tiède torpeur. C’est avec l’acteur que nous allons tourner la prochaine et dernière scène. Acteur de théâtre et de cinéma, metteur en scène, Gilles Cohen a de la bouteille dans le métier. Au cinéma, on a pu le voir dans « Trois hommes et un couffin » de Coline Serreau (1985), « De battre mon cœur s’est arrêté » (2005) et « Un prophète » (2009) de Jacques Audiard, « Les yeux de sa mère » (2011) de Thierry Klifa et dernièrement « La vie de château » (2017) de Mody Barry et Cédric Ido... J’en passe et des chefs d’œuvre ! Pendant que Gilles Cohen passe par la case habillage et maquillage, Basile nous invite à le suivre jusqu’au plateau.
Pour la dernière scène, Joëlle et moi devons pointer nos couteaux en direction de Gilles Cohen, geste involontaire mais agressif qui doit servir sa réplique. Jouissif ! Qui n’a jamais rêvé de menacer un acteur à l’arme blanche ?!! (Ah ? Pas vous ? ;-) … ). Lorsque que le clap de fin retentit, c’est le soulagement.
Les journées sur un tournage sont longues et fatiguantes, et je suis contente d’ôter mes bottes en caoutchouc et d’enfin pouvoir m’asseoir, et surtout d’arrêter de tripatouiller du poisson de moins en moins frais ! Hervé Lasgouttes remercie tous les acteurs, figurants et équipes techniques de leurs efforts. C’était la dernière scène tournée à Douarnenez. Applaudissements chaleureux. Demain, direction Quimper pour quelques scènes à l’intérieur d’une maison de centre-ville…
Le film « Crawl » est sorti en 2012 dans les meilleures salles de l’hexagone. Je suis contente d'avoir découvert la version finale du film et de m'être reconnue en charlotte bleue sur grand écran !