J’ai testé la sororité à « A l’Est de la Lune »
Je ne sais plus si je vous ai déjà parlé de Emma. Cela fait environ un an que nous nous connaissons. Nous sommes toutes les deux bénévoles pour l’association Heol, la monnaie locale du Pays de Brest et alentours (et donc Landerneau). Emma est infirmière psy. Elle m’écoute toujours attentivement avec ses grands yeux sombres et hoche souvent la tête. « Ah oui ? », « Tu crois ? » ponctue-t-elle régulièrement ses fins de phrases. Je me moque d’elle car nous savons là qu’il s’agit d’une déformation professionnelle. De même, j’ai l’habitude de poser un tas de questions aux gens, souvent sur des détails infimes de leur vie. A son tour de se moquer gentiment de moi, de me répondre et me retourner la même question, ce qui me déstabilise toujours ! Je suis prise à mon propre piège.
Emma et moi ne nous sommes pas vues pendant les vacances de Noël. Nous nous manquons et donc on décide de déjeuner ensemble dans le coffee shop qui vient d’ouvrir au 21 rue des déportés à Landerneau : A L’Est de la Lune. « On s’assoit à cette table ? » « Ah oui ? ». Donc on s’assoit à cette jolie table ronde au centre du troquet. La discussion qui s’en suit n’est pas du tout contrariante, vous vous en doutez. « J’adore la tapisserie bleue fleurie ! », « Tu as le droit de l’aimer. Je la trouve jolie également. » (Haha si Emma me lit, elle va m’étriper).
Morgane qui tient les lieux s’approche de nous pour nous présenter la carte : de la petite restauration, faite maison, au jour le jour et au gré des saisons. Tout a l’air délicieux. Nous optons pour le cake salé du jour accompagné de sa salade, un rooibos et un cookie aux éclats de caramel en dessert. Je salive d’avance et je salive encore en l’écrivant. La clientèle est plutôt familiale, sans doute parce que nous sommes mercredi midi. Télétravaillant à 100%, cela me fait un bien fou de déjeuner à l’extérieur. Emma a beaucoup plus de conversation et de répondant que mon petit chat Ramsès.
A la fin du déjeuner, Emma et moi demandons à Morgane si elle accepte la monnaie locale. Celle-ci nous avoue qu’elle est très intéressée, mais qu’elle n’a pas encore eu le temps de s’y intéresser depuis l’ouverture. Qu’à cela ne tienne. Emma dégaine une carte de visite Heol et moi la promesse de revenir pour lui faire signer un contrat. Emma hoche ensuite la tête en regardant Morgane avec ses grands yeux sombres. Cette dernière est prise au piège. La bienveillance fonctionne toujours !
Donc chose promise, chose due, je retourne à A l’Est de la Lune avec ma copine Marine cette fois-ci. Comme Emma, cela ne fait pas un an que Marine et moi nous connaissons. Marine est à la tête de Egaluce, cabinet de conseil, formations et conférences sur les thèmes de l'égalité entre femmes et hommes. Marine m’avait repéré via mon compte Instagram et invité à une soirée d’échange avec Céline Piques, porte-parole de Osez le féminisme !, et qui venait de publier son manifeste « Déviriliser le monde. » C’était la première fois que je participais à une soirée féministe. Depuis, mes prises de conscience ont été multiples et j’ai participé à d’autres soirées où la parole était donnée aux femmes. La dernière en date, c’était à Logonna-Daoulas en janvier à l’occasion d’un spectacle d’improvisation féministe avec la troupe Féminité.s.
A peine la porte du coffee shop poussée, Marine tombe en arrêt devant la collection de théières chinées par Morgane. C’est marrant de voir les intérêts des unes et des autres. Moi, mon intérêt immédiat, c’est de nous réserver la meilleure table : celle en vitrine avec les fauteuils mauves et moelleux, coincée entre le soleil et les cookies. Tandis que Marine pose une option sur la brocante, je pose une option sur le cake du jour et un doux jus d’abricot. Morgane me reconnait. Aujourd’hui, je suis venue sans mon contrat Heol pour l’inscrire dans le réseau de la monnaie locale. La jeune femme se détend et ça nous fait rire.
Marine nous rejoint et commande à son tour. Je lui pose quelques questions sur son parcours professionnel. Avec en ligne de mire, comprendre d’où lui vient son militantisme. Déformation professionnelle oblige, je rentre dans les détails car j’ai un peu de mal à appréhender son activité pour Egaluce : « Par exemple, concrètement, qu’est-ce que tu as fait ce matin ? »
« Eh bien ce matin, j’ai préparé Le Point Luce pour le direct de ce soir sur Tébéo. J’ai également eu réunion avec Peggy Allard sur Legi-TEAM-toi, notre formation pour démystifier et surmonter le syndrome de l'imposteur au travail. Et puis, là, je déjeune avec toi. » Et ce qui devait arriver, arriva. Elle m’a retourné la question « Et toi, tu as fait quoi ce matin ? » J’ai répondu par politesse, mais j’ai trouvé ma réponse chiante, mais chiiiiiiiante. Peut-être que j’ai besoin d’un Legi-Team-Moi…
Ensuite on a discuté d’un sujet qui m’avait beaucoup marqué lors de notre rencontre avec Céline Piques : les métiers du « care », le travail domestique, le bénévolat qui sont l’apanage des femmes. Les femmes soignent, réparent gratuitement ce que détruisent les hommes pour l’argent et le pouvoir. Or ce travail des femmes (et des enfants dans certains pays) mal ou non rémunéré ET ce « coût de la virilité » (destructions, dégradations, délinquance, banditisme, violences, guerres, etc.) ne sont PAS pris en compte dans le PIB (indicateur de richesse) et cela change TOUT ! « Tu vois Sophie, c’est ça la sororité. En discutant ensemble, on réalise certaines choses chacune à notre niveau. En fonction de notre vécu et du chemin où l’on se trouve. On ne s’impose rien, on est simplement dans le partage. Et on s’aide au besoin. »
Morgane passe devant notre table et nous propose les desserts. Passion cookie, je prends un cookie. Marine a écrit un livre sur le syndrome de l’imposteur et son ouvrage va bientôt être publié. Morgane s’extasie : « Han, mais ça m’intéresse carrément ce thème. Quand ton livre paraît, tu pourrais venir parler du syndrome de l’imposteur au coffee shop ! » Est-ce que je viens d’assister à un moment de sororité ? Je crois bien !
Nous prenons congés. Je reverrai Marine le samedi suivant, à l’occasion du spectacle de Guillaume Meurice à Guipavas, durant lequel l’humoriste la prendra à partie dans le public et la traitera de « féminazi ». Ça ne paraît pas très drôle écrit comme cela, mais ça l’était en vrai. La semaine suivante, Marine animait la rencontre avec Titiou Lecoq chez Dialogues à Brest. Titiou est journaliste, féministe, blogueuse, essayiste et romancière, spécialiste de la culture web. Elle était à Brest-même à l’occasion de la sortie de son dernier livre "Le couple et l'argent". Donc, les matinées (et même les journées) de Marine ne se ressemblent pas. Pour suivre son actualité, n’hésitez pas à vous abonner sur sa page Facebook ou Instagram.
Le jour où Marine interviewait Titiou, je déjeunais avec Céline de Ethique et Toque, la boutique de cosmétiques et accessoires zéro déchets, située 3 rue de Brest à Landerneau. Je vous le donne en mille : nous sommes allées à A l’Est de la Lune. C’est à ce moment-là que Morgane a capté que j’étais Sophie de Heol, mais aussi Sophie de J’ai testé Landerneau, Sophie qui fait des Insta Live avec Ethique et Toque, et Sophie qui a une passion pour ses cookies.
Cette fois-ci, j’ai donc assisté à une discussion entre commerçantes : les baux commerciaux, la SACEM, la compta, le bonheur (et la fragilité) d’être à son compte. Céline et moi, nous sommes entraînées également à notre challenge Cup Song, en buvant de la ginger beer. Je sais que cette phrase peut paraître mystérieuse, mais un jour prochain, on vous saurez tout.
Lorsque nous n'avons plus eu une goutte de notre boisson favorite, Morgane nous a proposé de nous montrer la deuxième salle qui donne sur l’arrière de la boutique et une belle terrasse à venir. Nous nous y voyons déjà, nous prélassant avec notre ginger beer, par les chaudes après-midis d’été. « Enfin toi peut-être. Mais moi je bosse la journée ! ». Non mais cette Céline alors, elle n’avait qu’à être tradeuse à La City, si elle voulait un meilleur rendement temps / argent. Et bien non, Céline voulait un métier qui ait du sens. YOU GO GIRL !! PROUD PROUD PROUD !! FUCK LE COÛT DE LA VIRILITE
Morgane n’est pas déstabilisée par nos joutes verbales. Elle continue la visite. Des soirées jeux avec Le Meeple du Rohan, des ateliers d’écriture avec Gwénaëlle Thouroude sont déjà organisés dans ce second espace. Sur les murs des photos de girouettes de l’exposition "Mo des Vents d'Est" du photographe Thierry Tanter, un ami proche de Morgane. Je ne peux m’empêcher de lui dire « Tu sais que ton ami est utilisateur de la monnaie locale. ». Céline de s’exclamer : « Mais elle ne s’arrête jamais ! ». Et nos rires de faire vibrer les murs de A l’Est de la Lune et faire tourner les girouettes de Thierry Tanter.